Il a suivi Gérard Depardieu, deux présidents de la République et maintenant des policiers en intervention : le dessinateur Mathieu Sapin se livre à un exercice délicat au plus près du pouvoir, avec des interrogations sur sa distance critique.
À l’intérieur, publié aux éditions Dargaud vendredi, est le résultat de longs mois d’observation de cet auteur au sein de la police, de la gendarmerie, d’autres unités de maintien de l’ordre, des pompiers, des préfectures et, enfin, du ministère place Beauvau à Paris. Cette vedette de la BD s’était lancée dans le genre de l’observation en immersion avec Le Journal d’un journal, en 2011, sur le quotidien Libération.
Ont suivi Campagne présidentielle en 2012, sur la campagne victorieuse de François Hollande, Le Château, une année dans les coulisses de l’Élysée en 2015, et Gérard, cinq ans dans les pattes de Depardieu en 2017. Mathieu Sapin a aussi vu Emmanuel Macron lui ouvrir ses portes pour Comédie française en 2020 et Carnets de campagne en 2022. Il n’a plus besoin de demander des accès : le pouvoir vient le chercher. Il dessine alors, avec son trait un peu fruste et un point de vue de Candide, les coulisses du pouvoir.
"Une grande chance"
Ainsi a-t-il été sollicité début 2023 par la porte-parole du ministère de l’Intérieur, Camille Chaize, pour décrire cette administration tentaculaire. Et il le dit déjà, l’album suivant sera consacré au chantier de rénovation de Notre-Dame de Paris. À l’intérieur a plu au ministère. Commencé sous Gérald Darmanin, publié sous Bruno Retailleau, l’album a fait l’objet d’une mini-exposition et d’une réception dans la salle des fêtes de l’Hôtel Beauvau, le 2 avril. Lors de cet événement ouvert à la presse transparaissait la fierté de l’Intérieur d’avoir "son" album de BD, comme le Quai d’Orsay de Christophe Blain et Abel Lanzac en 2010-2011.
"La plus grande liberté lui a été donnée, parce que c’est comme ça qu’on se disait aussi que le grand public adhérerait", disait au micro Camille Chaize, qui a quitté ses fonctions en janvier 2025. Mathieu Sapin a remercié les fonctionnaires qui l’avaient emmené avec lui, lors de "34 immersions", pour lui laisser carte blanche ensuite. "Je n’avais pas de vie pendant un an et demi. Mais voilà, je dois dire que c’était vraiment une grande chance".
"Inoffensif ?"
L’album met en scène les réticences initiales de l’auteur, "de gauche" et ancien "objecteur de conscience". Assez rapidement levées. Mathieu Sapin voyage de Paris à Mayotte, en passant par Calais, Marseille ou Belfort, au moment entre autres des violences déclenchées par la mort de Nahel Merzouk, 17 ans, abattu en juin 2023 par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre. S’est-il demandé pourquoi il avait été choisi ? Était-il si peu subversif que la police courait peu de risques d’être critiquée, alors qu’elle peut l’être très durement aujourd’hui ? "Est-ce que je suis le bon client, qui est inoffensif ? J’aurais pu me poser cette question-là. Mais ça n’est pas venu", répond-il.
"Il y a, je l’admets, certainement un syndrome de Stockholm. Les gens sont sympas, ils me montrent des trucs chouettes... Je ne vais pas forcément être hyper sévère", poursuit-il. "Je raconte les choses que je vois. Mais après, je suis conscient, encore une fois, de l’effet village Potemkine". Grigori Potemkine était un ministre russe qui aurait fait construire de faux villages pour cacher la misère des campagnes à l’impératrice Catherine II, dont il fut aussi l’amant.
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