Sept mois après le passage de Chido, le Parlement a définitivement adopté jeudi le projet de loi pour "refonder" Mayotte, confronté avant même le cyclone à d'immenses défis. Un ultime vote favorable du Sénat, à 228 voix contre 16, a permis à ce texte d'aboutir. Il attend désormais sa promulgation par le président de la République.
Ce texte constituera "une étape vers une meilleure protection des Mahorais, vers l'égalité réelle, vers un développement concret et puissant du territoire au service de la population", a salué Manuel Valls, le ministre des Outre-mer. Cette "loi-programme" décline notamment 4 milliards d'euros d'investissements publics sur six ans et inscrit pour la première fois dans la loi la convergence sociale, c’est-à-dire l’alignement des droits sociaux avec les montants de l’Hexagone, avec pour horizon 2031. À Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté national, et le RSA, par exemple, y est encore deux fois plus bas.
Dernier texte de loi à passer les griffes du Parlement avant la pause estivale, il vient clore une session parlementaire extraordinaire assez fructueuse pour le gouvernement, qui aura réussi à faire aboutir plusieurs textes malgré son absence de majorité à l’Assemblée nationale. Cette loi pour "refonder Mayotte", fruit d’un compromis entre députés et sénateurs, avait été validée mercredi par les députés, avec le soutien de la coalition gouvernementale et de l’extrême droite. Le Rassemblement national, très mobilisé durant les débats, a même revendiqué "une victoire politique". Mais la gauche, à l’Assemblée comme au Sénat, s’est partagée entre opposition et abstention, mettant notamment en cause "l’obsession" du projet de loi pour l’immigration, ont accusé plusieurs parlementaires.
Le texte s’attaque en effet à deux "fléaux", la lutte contre l’immigration clandestine et l’habitat illégal, "sans quoi" Mayotte risque d’être reconstruite sur du "sable", selon les mots de Manuel Valls. Il prévoit par exemple de durcir les conditions d’obtention d’un titre de séjour alors que près de la moitié de la population y est étrangère. Plusieurs dispositions permettent de faciliter la destruction des bidonvilles, alors qu’un tiers de l’habitat est informel. Une mesure permet par exemple de déroger à l’obligation d’une offre de relogement au moment d’une évacuation.
– Attentes des Mahorais –
"À Mayotte, le droit commun ne s’applique plus. C’est devenu un laboratoire sécuritaire où l’on teste des lois que l’on n’oserait jamais appliquer ailleurs en France", s’est indignée la sénatrice écologiste Antoinette Guhl. Le projet de loi prévoit en outre plusieurs mesures très attendues sur l’archipel. D’abord, la suppression d’ici 2030 du visa territorialisé, qui empêche un détenteur d’un titre de séjour mahorais de venir dans l’Hexagone. Les Mahorais y voient une injustice et un manque de solidarité de la France métropolitaine face à l’afflux massif d’immigrés clandestins venus notamment des Comores voisines.
Le recensement exhaustif de la population à Mayotte dès 2025 est aussi inscrit dans la loi. Depuis des années, les élus locaux affirment que la population est sous-estimée avec pour conséquence des collectivités moins bien dotées qu’elles ne devraient l’être et des services publics saturés. Autre victoire pour les élus mahorais, la suppression de l’article facilitant les expropriations pour permettre la construction d’infrastructures dites essentielles. Cette mesure, ardemment défendue par le gouvernement et initialement votée par le Sénat, a provoqué une levée de boucliers sur l’archipel, les Mahorais s’inquiétant d’une mainmise de l’État sur le foncier.
"Inédit", "massif", "historique", les adjectifs laudateurs du gouvernement pour qualifier le texte ne manquent pas. Mais pour certains parlementaires, il passe à côté de nombreux enjeux de développement, notamment sur l’eau, la transition écologique et la santé. La députée mahoraise Anchya Bamana, qui siège au groupe RN, a par exemple rappelé que Mayotte vit toujours sous le régime des coupures d’eau, avant de lancer : "Comment justifier 1 milliard pour se baigner dans la Seine ? Mais rien pour répondre à l’urgence de l’accès à l’eau potable pour les Mahorais."
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"Refonder" Mayotte : une loi pour durcir l'immigration, accélérer les expulsions et investir massivement
Lutter contre l'immigration et l'habitat illégal, investir massivement pour relever le département le plus pauvre de France, recenser la population : la loi pour "refonder Mayotte", définitivement adoptée jeudi par le Parlement, entend répondre aux immenses défis de l’archipel dévasté. Voici les principaux points du texte, validé sept mois après le passage ravageur du cyclone Chido.
– 4 milliards sur six ans –
Le texte du gouvernement n'est pas un simple projet de loi, il comprend aussi un volet programmatique, qui impose des objectifs à l'exécutif. Il recense les priorités de l'État pour Mayotte et les investissements publics prévus entre 2025 et 2031, fléchés vers l'eau, l'éducation, la santé, les infrastructures ou la sécurité. Initialement fixés à 3,2 milliards d'euros, ils ont été relevés pour atteindre près de quatre milliards. Il contient aussi des engagements plus généraux, comme la fin des rotations scolaires pour la rentrée 2027, alors qu'aujourd'hui, de nombreux élèves doivent partager leur salle de classe avec un autre groupe, faute de places disponibles. Il acte la promesse de construire des "infrastructures essentielles" comme des hôpitaux ou encore un nouvel aéroport sur l'île de Grande-Terre.
– Immigration, habitat illégal et sécurité –
Le texte liste deux priorités : la lutte contre l'immigration et l'habitat illégal, "sans quoi, nous risquons de reconstruire Mayotte sur du sable", selon les mots du ministre des Outre-mer Manuel Valls. Il durcit les conditions d'accès au séjour sur l'archipel, où la moitié de la population est étrangère selon l'Insee. L'obtention d'un titre de séjour pour les parents d'enfant français devra désormais être conditionnée à une entrée régulière sur le territoire.
Il lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité, en alourdissant la peine contre cette infraction. Et il prévoit la centralisation de celles-ci à Mamoudzou, dans le but d'identifier les auteurs de reconnaissances multiples. Le volet sécuritaire prévoit le retrait possible des titres de séjour aux parents d'enfants considérés comme menaçant l'ordre public. Ou encore la possibilité de placer dans une zone de rétention des mineurs accompagnant un majeur faisant l'objet d'une mesure d'éloignement. Plusieurs mesures facilitent la destruction des bidonvilles sur l'archipel, avec par exemple la possibilité de déroger à l'obligation d'une offre de relogement ou d'hébergement d'urgence.
– Fin des visas territorialisés –
Le texte prévoit la suppression, à l'horizon 2030, des visas territorialisés à Mayotte, qui empêchent les détenteurs d'un titre de séjour mahorais de venir dans l'Hexagone.
La suppression de ce titre de séjour spécifique est très attendue par les habitants qui y voient une injustice et un manque de solidarité de la France métropolitaine face à l'afflux massif d'immigrés clandestins venus notamment des Comores voisines.
– Convergence sociale –
Sur le volet social, le projet de loi prévoit de faire converger le niveau des prestations sociales comme le RSA ou le SMIC entre Mayotte et l'Hexagone à l'horizon 2031. Une première étape permettra d'atteindre 87,5 % du SMIC dès le 1er janvier 2026. Du côté des entreprises, un allègement des charges et un maintien du CICE jusqu'au 1er janvier 2027 ont été actés, avec une mise en place d'un régime d'exonérations de charges spécifique aux entreprises d'outre-mer, à partir de cette date. Par ailleurs, le texte prévoit la création d'une "zone franche globale" avec des abattements jusqu'à 100 %, étendue à toutes les entreprises et tous les secteurs d'activité, pour stimuler l'économie mahoraise.
En revanche, le texte a été amputé d'une mesure particulièrement irritante pour les Mahorais, un article simplifiant les procédures foncières et les expropriations en vue de construire des infrastructures essentielles. Le recensement exhaustif de la population à Mayotte dès 2025, une disposition très attendue sur l'île, est aussi inscrit dans la loi. Depuis des années, les élus locaux affirment que la population est sous-estimée avec pour conséquence des collectivités moins bien dotées qu'elles ne devraient l'être et des services publics saturés.
– Gouvernance locale renforcée –
Mayotte deviendra une collectivité unique "département-région". Ce changement institutionnel, acté dans une loi organique parallèle, vise à donner plus de leviers aux élus mahorais, notamment pour gérer les fonds européens et piloter le développement de leur archipel. Le projet instaure un scrutin de liste pour l'élection de 52 conseillers à l'assemblée de Mayotte, ainsi que des incitations pour attirer les fonctionnaires, comme une bonification d'ancienneté et une priorité de mutation au retour.
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Projet de loi pour Mayotte : entre soutien mesuré et inquiétudes sur l’approche sécuritaire
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) au Sénat s’est abstenu le 1er juillet 2025 lors de l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte et le projet de loi organique relatif au Département-Région. Dans un communiqué diffusé le 10 juillet, le groupe salue certains engagements de l’État mais déplore un manque de vision d’ensemble et une orientation sécuritaire jugée inefficace.
Parmi les points positifs soulignés figurent la mise en place d’une feuille de route dotée d’un calendrier et de financements, la suppression de l’article 19 qui prévoyait un régime dérogatoire pour les expropriations, ainsi que l’engagement à mettre fin aux cartes de séjour territorialisées d’ici 2031. Le groupe salue également la trajectoire de convergence du SMIC, dont la première étape est prévue pour 2026.
En revanche, les sénateurs SER dénoncent l’accent mis sur les mesures sécuritaires, qu’ils jugent simplistes et déconnectées des réalités sociales de Mayotte. « Le Gouvernement et la droite sénatoriale ont une nouvelle fois opté pour la surenchère dans la lutte contre l’immigration clandestine, sans évaluation des dispositifs existants », relèvent-ils.
Les élus appellent à une mise en œuvre transparente des engagements, en étroite concertation avec les élus locaux, et soulignent que l’administration devra se montrer exemplaire dans la transmission des données. Le comité de suivi du projet de loi est, selon eux, un élément central pour garantir une refondation cohérente et adaptée aux spécificités du territoire.
S’ils saluent l’ouverture d’un cadre de travail, les sénateurs SER restent vigilants quant aux modalités d’application du texte et aux moyens réellement alloués pour répondre aux défis économiques, sociaux et institutionnels de Mayotte.
memento.fr
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