Combien y a-t-il d'habitants à Mayotte ? Environ 320.000 au 1er janvier 2024, estime le directeur de l'Insee, battant en brèche les estimations allant jusqu'à 500.000, voire plus du fait de l'immigration clandestine, véhiculées dans l'archipel et en métropole. Face aux polémiques et au "dénigrement systématique" de son institution, Jean-Luc Tavernier défend les méthodes de ses agents et assure, pour sa part, que ses chiffres reflètent bien la réalité.
Question : Quelle est la population estimée de Mayotte par l'Insee ?
Réponse : "Il y a une controverse historique à Mayotte entre une partie des élus et nous sur le dénombrement de la population. Les affirmations les plus fantaisistes circulent. On estime, nous, qu'il y a entre 300.000 et 320.000 habitants et ma conviction intime, c'est que l'estimation qu'on a n'est pas grossièrement erronée. Ce n'est pas une science exacte, mais qu'on puisse être à 500.000 habitants me paraît extrêmement improbable. On voit bien qu'il y a une polémique, et les élus se plaisent à penser qu'il y a beaucoup plus d'habitants et qu'on ne recense pas les clandestins: c'est totalement faux."
Q : Quelles sont les méthodes de recensement à Mayotte ?
R : "Le dernier recensement exhaustif remonte à 2017. (En 2021), les élus de Mayotte ont souhaité qu'on applique le même type de recensement qu'ailleurs en métropole et dans les départements d'outre-mer, c'est-à-dire un recensement chaque année couvrant une partie du territoire, alors qu'auparavant, c'était tous les cinq ans. Ce sont les agents de l'Insee eux-mêmes qui font la cartographie avant chaque enquête. On va dans les collines de +bangas+ (des habitations traditionnelles, ndlr), on va repérer là où il y a de l'habitat informel, de manière à ce que les agents recenseurs, qui sont employés par les communes après, savent où sont les bangas et à qui il faut qu'ils aillent poser des questions. Ce sont des enquêteurs et des enquêtrices qui parlent les deux langues du territoire, qui expliquent qu'ils ne sont pas là pour +décaser+ ou expulser. Et le fait est qu'on a un taux de réponse qui est plutôt plus élevé que la moyenne française à Mayotte. Donc ça fonctionne."
Q : D'autres indicateurs accréditent-ils les chiffres officiels ?
R : "On a essayé de croiser avec d'autres données. On compare (par exemple) la consommation moyenne de riz ou d'huile par rapport aux habitants des territoires environnants (Comores, Madagascar...) et ça paraît tout à fait cohérent. Un autre indicateur très important, ce sont les élèves. Les élèves de 10 à 14 ans, par exemple, on en avait 39.000 dans le recensement et il y en a 38.000 inscrits au rectorat. Alors il y a tout un débat autour du fait que des tas de jeunes ne seraient pas inscrits (à l'école) mais même les +irréguliers+ ont tendance à inscrire les jeunes à l'école, parce que c'est une preuve d'antériorité sur le territoire. On a regardé le nombre de connexions aux réseaux électriques, on a regardé le nombre de cartes SIM... Et tout ça nous conforte plutôt dans l'idée que notre ordre est le bon.
Q: Comment répondez-vous aux critiques ?
R : "On a consacré beaucoup de soin aux recensements à Mayotte. On en fait plus que partout ailleurs. Évidemment, ça ne suffit pas de dire qu'on fait bien le travail mais quand même, les agents font ça et sont confrontés à une espèce de dénigrement systématique. Et ce qui me gêne énormément, c'est que tous ceux et toutes celles qui nous critiquent ne donnent aucun argument. On peut nous critiquer, et on peut faire des erreurs, mais il faut qu'on nous apporte une critique argumentée et documentée. On n'est pas loin de la post-vérité."
Q : Quelles sont les prochaines étapes ?
R : "Je pense que faire un recensement exhaustif est la bonne idée. Quand et avec quelle modalité ? C'est encore à définir. Pour que les conditions soient réunies, il faut que la population soit stabilisée. Il faut que le bâti soit un peu stabilisé, et il faut qu'on ait du personnel, et du personnel dans les mairies. Il faut aussi, en amont du travail des agents recenseurs, refaire une grande enquête cartographique pour être sûr d'avoir toute l'identification du bâti formel et informel. Ce n'est pas immédiat."
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