Madagascar se préparait mercredi à une nouvelle ère de régime militaire : le commandant de l’unité ayant pris le pouvoir la veille a annoncé qu’il serait investi président vendredi, après le vote de destitution visant Andry Rajoelina, le président contesté depuis une vingtaine de jours dans la rue.
Le colonel Michael Randrianirina, déjà président de fait de ce pays parmi les plus pauvres et corrompus du monde, "prêtera serment en qualité de Président de la Refondation de la République de Madagascar" vendredi, indique un communiqué signé de sa main et diffusé par la télévision publique. "Ce n’était pas un coup d’État, c’était une prise de responsabilité parce que le pays est tombé au bord du gouffre", s’est-il défendu auparavant lors d’un entretien à plusieurs chaînes malgaches. Un comité d’officiers de l’armée, de la gendarmerie et de la police doit superviser une refonte des institutions, selon son annonce de la veille.
Les équipes d’Andry Rajoelina ont quitté mardi soir le palais présidentiel d’Iavoloha, après l’arrêt de la Haute Cour constitutionnelle déclarant la présidence vacante et invitant le colonel Randrianirina à incarner la fonction de chef de l’État, selon son entourage. Paradoxalement, Antananarivo s’est démilitarisée depuis que le contingent du Capsat a pris le pouvoir mardi des mains d’Andry Rajoelina, qui se dit réfugié dans un "lieu sûr" et que plusieurs médias affirment en fuite à l’étranger.
La vie quotidienne a retrouvé son cours dans la capitale malgache, où les nombreux barrages installés depuis le début des manifestations du 25 septembre ont disparu. Sur la place du 13-Mai, les véhicules blindés ont laissé place à une scène de concert où s’est produite la vedette locale Thiera Kougar. Les duels de danse, entre deux gorgées de boissons, ont remplacé les va-et-vient des pick-ups bondés de militaires.
"C’est pour célébrer le mouvement que la Gen Z a commencé. Ils ont gagné le droit de s’exprimer, parce qu’avant on se faisait arrêter", explique Fenitra Razafindramanga, 26 ans, capitaine de l’équipe de rugby de Madagascar, parmi les quelques centaines de fêtards. Au moins 22 personnes ont été tuées et une centaine blessées, d’après l’ONU, dans les manifestations lancées par le collectif de jeunes Gen Z pour dénoncer les coupures d’eau et d’électricité avant de devenir une contestation générale du pouvoir.
"On s’inquiète de la suite, mais on savoure ce premier combat gagné, qui nous a donné de l’espoir. Mais on continuera de se battre quand même", confie Fenitra Razafindramanga, chapeau de paille aux couleurs du logo Gen Z sur la tête. Sa préoccupation rejoint celle, plus nette, des instances internationales. L’Union africaine a suspendu mercredi Madagascar "avec effet immédiat" de ses instances, après la prise de pouvoir des militaires.
Le nouvel homme fort du pays a promis des élections dans 18 à 24 mois et assuré préparer "un processus de consultation pour trouver un Premier ministre le plus vite possible". En attendant, une cour s’est formée mercredi à la direction du Capsat. Représentants de collectifs de jeunesse, de la société civile ou d’organisations religieuses ont été reçus, tandis que d’autres visiteurs patientaient des heures dans l’espoir d’obtenir une audience ou pour afficher leur soutien.
- La Gen Z soutient l’armée -
Critique de longue date du pouvoir d’Andry Rajoelina, le colonel Randrianirina avait été emprisonné plusieurs mois à partir de novembre 2023 pour incitation à la mutinerie en vue d’un coup d’État. La présidence a dénoncé "un acte clair de tentative de coup d’État" et souligné qu’Andry Rajoelina, exfiltré par un avion militaire français selon des sources concordantes, "reste pleinement en fonction".
Le secrétaire général de l’ONU, par la voix de son porte-parole Stéphane Dujarric, s’est dit "profondément préoccupé par le changement inconstitutionnel de pouvoir à Madagascar". La France, ancienne puissance coloniale, a jugé "essentiel que la démocratie, les libertés fondamentales et l’État de droit soient scrupuleusement préservés". Le mouvement Gen Z, mené par les jeunes qui ont initié les manifestations à partir du 25 septembre, a salué l’intervention du colonel Randrianirina.
Andry Rajoelina, réélu lors d’un scrutin contesté en 2023, était arrivé une première fois au pouvoir en 2009 à la faveur d’un coup d’État soutenu par l’armée, dénoncé par la communauté internationale, qui avait alors gelé l’aide étrangère et les investissements pendant près de quatre ans. Madagascar a une longue histoire de soulèvements populaires suivis par la mise en place de gouvernements militaires de transition. Au moins 80 % des 32 millions d’habitants vivent avec moins de 15 000 ariary par jour (2,80 euros), le seuil de pauvreté fixé par la Banque mondiale.
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