Inéligibilité des élus, champ du référendum... le Conseil constitutionnel sera amené à se positionner à court ou moyen terme sur plusieurs questions ayant de fortes incidences politiques. Plus généralement, il apparaît de plus en plus en "première ligne", dans un paysage politique fracturé et polarisé par l'extrême droite.
* Une QPC scrutée par Marine Le Pen
Le Conseil constitutionnel doit statuer d'ici le 3 avril, et vraisemblablement dans la deuxième quinzaine de mars, sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par un élu mahorais condamné à une peine d'inéligibilité avec exécution immédiate (ou "provisoire") - le privant dans son cas de son mandat de conseiller municipal. Une règle qui porte atteinte à la séparation des pouvoirs et à la "préservation de la liberté de l'électeur" garantie par la Constitution, estime-t-il. La décision intéresse de près Marine Le Pen, elle-même sous la menace d'une inéligibilité immédiate, requise contre elle au procès des assistants d'eurodéputés RN, et qui pourrait la priver de la présidentielle 2027. Le jugement est attendu le 31 mars.
"Si le Conseil constitutionnel va vers la censure de la disposition incriminée" par l'élu mahorais, ou "a minima a de grosses réserves d'interprétation concernant l'inéligibilité à titre provisoire, cela enverra un signal clair aux juges de première instance", estime le constitutionnaliste Benjamin Morel. L'imminence de cette décision n'a pas manqué d'alimenter les soupçons sur un éventuel "accord secret" entre le RN et Richard Ferrand, candidat à la présidence de l'institution, le RN ayant fait le choix mercredi de ne pas s'opposer à sa nomination - contrairement à la gauche et à la droite.
* Quel périmètre pour l'article 11 ?
L'article 11 de la Constitution permet de soumettre une question à l'approbation du peuple sans passer par le Parlement. Selon cet article, un tel référendum peut porter notamment sur "l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent". L'article 89, qui permet lui de réviser la Constitution, prévoit que le projet de révision soit d'abord voté par l'Assemblée et le Sénat dans des termes identiques. Mais Marine Le Pen soutient depuis 2022 l'idée de soumettre au peuple un texte intégrant à la Constitution le principe de priorité nationale.
Elle avait notamment argué que le Conseil constitutionnel "n'a pas la capacité de regarder le contenu d'un référendum" et qu'à l'initiative de Charles De Gaulle, "en 1962, les conditions d'élection du président (inscrites dans la Constitution) ont été changées par un référendum" de ce type. Mais une jurisprudence est depuis passée par là, baptisée "Hauchemaille", et en vertu de laquelle le Conseil s'est reconnu une nouvelle compétence, celle de statuer sur un décret de convocation des électeurs au référendum.
Interrogé sur le sujet mercredi, M. Ferrand a botté en touche et souligné qu'il n'y avait "pas d'exemple de jurisprudence" d'une saisine du Conseil constitutionnel concernant une hypothèse de référendum, tout en estimant que "ce n'est pas fermé". "Je pense que le domaine peut être susceptible d'être contrôlé par le Conseil constitutionnel dans son décret", a quant à elle estimé mercredi Laurence Vichnievsky, qui doit elle aussi rejoindre l'institution.
* Un Conseil de plus en plus sous pression
Le Conseil devra également se prononcer sur différents textes portés par le gouvernement et les parlementaires, qui hésitent de moins en moins à flirter avec la ligne rouge de la jurisprudence constitutionnelle, comme ce fut le cas avec le projet de loi immigration, dont un gros tiers avait été censuré début 2024. Le Conseil avait jugé comme des "cavaliers" sans rapport avec le projet initial de grands pans du texte. Cette jurisprudence sur le cavaliers pourrait-elle être révisée? Benjamin Morel note que le sénateur Philippe Bas, lui aussi appelé à rejoindre le Conseil, pourrait être "relativement enclin à plaider pour une atténuation de ce principe".
Par ailleurs, la loi narcotrafic, la proposition de loi sur le droit du sol à Mayotte ou celle sur la sécurité dans les transports pourraient être partiellement censurées pour des raisons de fond, si elles sont adoptées. Jeudi, le Sénat s'apprête à examiner une proposition de loi interdisant aux étrangers en situation irrégulière de se marier soutenue par les ministres de la Justice et de l'Intérieur, bien que contraire à la jurisprudence constitutionnelle.
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