Sur l'île française de Mayotte, dans l'océan Indien, des habitants ont érigé des barrages dans leurs quartiers voire sur des routes pour demander la fin des violences, après cinq meurtres ou tentatives en moins de deux mois. Sur ce petit territoire situé entre Madagascar et la côte est-africaine, les affrontements entre jeunes de quartiers rivaux ou contre les forces de l'ordre, quand elles interviennent pour les séparer, nourrissent les tensions. Automobilistes et passants font aussi les frais de ces violences.
Au début du mois, un habitant du quartier de M'Tsapéré, au sud de la capitale Mamoudzou, a été tué avec un couteau. Un mineur de 16 ans a été mis en examen et écroué. En tout, ce sont cinq meurtres ou tentatives de meurtre que le procureur Yann Le Bris dénombre depuis le 1er janvier 2022. Un premier blocage a eu lundi lieu à Vahibe, sur une route du centre de Mayotte confrontée à ces affrontements récurrents entre bandes rivales. Depuis lundi, les habitants du village de M'Tsapéré ont également décidé de bloquer les accès routiers à leur quartier, en signe de protestation.
Dans la nuit de lundi à mardi, plusieurs d'entre eux ont tenté de couper la circulation sur la route nationale qui contourne la commune, entraînant une intervention des forces de l'ordre. Sur les réseaux sociaux apparaissent des appels à une opération "ile morte" ce mercredi via l'intensification des blocages. "Ce n'est pas normal que des gens meurent !", clame Dayane, un habitant du quartier de M'Tsapéré qui ne décolère pas, devant la mairie de Mamoudzou où se tenait mardi une réunion d'urgence entre le maire, le préfet et le procureur de la République. Comme les autres habitants, il a refusé de participer à la réunion, organisée pourtant à leur demande.
Selon le commissaire Laurent Simonin, directeur territorial de la police nationale de Mayotte, vingt-cinq grenades lacrymogènes ont été tirées pour empêcher une quinzaine de tentatives de bloquer la route nationale. "On n'est pas d'accord avec la façon de faire. A chaque fois, c'est nous qui sommes tapés et les délinquants sont là en train de rigoler", explique Dayane pour qui "ces jeunes-là" sont "des délinquants, des terroristes" et "déterminés à tuer".
- "Utopie" -
Une colère accentuée par l'intervention lundi sur une chaîne de télévision locale du préfet Thierry Suquet, qui a assuré que "penser qu'on peut éradiquer la violence et la délinquance, ça fait partie de l'utopie". A l'issue de la réunion mardi, le maire de Mamoudzou, Ambdil Wahedou Soumaïla, reconnaissait "un mal extrêmement profond", dont "les solutions ne viendront pas uniquement des institutions" car selon lui "il faut des solutions globales".
Il dénonce toutefois la méthode des habitants : "Il ne faut pas non plus bloquer l'économie du territoire, ces fauteurs de trouble profitent de la situation pour racketter les gens qui sont bloqués. Il ne faut pas que les barrages aillent compliquer la situation". Déjà en 2018, une grave crise sociale avait éclaté pour dénoncer l'insécurité sur l'île et s'était traduite par sept semaines de blocage des routes et un ralentissement de l'économie locale. Un plan de 1,3 milliard d'euros avait alors été mis sur la table, mais ses effets peinent à se faire sentir au quotidien. En 2021, le parquet de Mamoudzou a enregistré une augmentation de 25 % des saisines pour des crimes à Mayotte, de 21% pour des délits.
Un tiers des délits sont le fait de mineurs, selon le parquet de Mamoudzou, dans une île qui manque de classes pour prendre en charge tous les jeunes du territoire. Le maire de la ville-préfecture estime que la situation pourrait encore se dégrader. "Si nous n'apportons pas de solutions immédiates, ça peut inciter un certain nombre de citoyens à se rendre justice eux-mêmes, ce serait une ligne rouge, et la rupture du pacte républicain", prévient-il.
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