"Chaque jour qui passe, Guadeloupéens et Martiniquais s'empoisonnent" à cause du chlordécone, pesticide au coeur d'un scandale sanitaire soldé par un non-lieu réexaminé lundi et mardi par la Cour d'appel de Paris, estime Me Harry Durimel, avocat de parties civiles.
Les parties civiles contestent devant la chambre d'instruction de cette cour le non-lieu prononcé en 2023, pour tenter de relancer l'enquête judiciaire. "Nous allons démontrer qu'il ne peut y avoir prescription, que l'infraction a été dissimulée, elle a été continue, et que chaque jour qui passe, Guadeloupéens et Martiniquais s'empoisonnent", a développé devant la presse Me Harry Durimel, dans les rangs des parties civiles, tout comme Me Jean-Claude Durimel, son cousin.
L'ordonnance de non-lieu de janvier 2023 repose notamment sur la difficulté de "rapporter la preuve pénale des faits dénoncés", "commis 10, 15 ou 30 ans avant le dépôt de plaintes". Mais paradoxalement, les magistrates parisiennes qui ont établi ce non-lieu ont aussi reconnu dans leur ordonnance un "scandale sanitaire" et une "atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants" des territoires ultramarins concernés.
Me Harry Durimel, juste avant le début de l'audience à huis clos, a dit aux journalistes attendre avec "gravité" mais aussi "beaucoup d'espoir" la décision de la chambre de l'instruction, qui devrait être mise en délibéré à plusieurs semaines. Et d'espérer une décision qui pourrait "donner le coup d'accélérateur" nécessaire pour obtenir "justice et vérité pour les Antilles".
Me Olivier Tabone, autre avocat des parties civiles, garde également "beaucoup d'optimisme", misant sur "l'impartialité" de la chambre d'instruction pour qu'elle relance l'information judiciaire. Il précise que ce recours en appel "n'est pas la dernière carte à jouer", évoquant si nécessaire un recours devant la justice européenne. Le chlordécone est un pesticide répandu dans les bananeraies pour lutter contre le charançon pendant 20 ans jusqu'en 1993. Le produit est pourtant classé depuis 1979 comme agent possiblement cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ).
Dès 2006, de premières plaintes pour administration de substances nuisibles ou empoisonnement, contre l'État ou contre X, émanent d'associations guadeloupéennes et martiniquaises de producteurs agricoles, de consommateurs, de défenseurs de l'environnement ou encore de protection de la santé. Une information judiciaire est ouverte en 2008 à Paris.
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Chlordécone : "L'Everest" des parties civiles qui contestent le non-lieu
"Comme si on te demandait de monter l'Everest en courant contre les vents, en pleine neige" : Me Alex Ursulet résume le défi pour les parties civiles qui contestent lundi le non-lieu dans le scandale sanitaire du chlordécone devant la cour d'appel de Paris. Cela fait presque 20 ans que la justice se penche sur ce dossier tentaculaire, du nom d'un pesticide répandu dans les bananeraies pour lutter contre le charançon jusqu'en 1993, alors qu'il était classé depuis 1979 comme agent possiblement cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer.
Dès 2006, de premières plaintes pour administration de substances nuisibles ou empoisonnement, contre l'État ou contre X, émanent d'associations guadeloupéennes et martiniquaises de producteurs agricoles, de consommateurs, de défenseurs de l'environnement ou encore de protection de la santé. Une information judiciaire est ouverte en 2008 à Paris.
Me Harry Durimel n'a d'ailleurs pas caché son "émotion" de "porter la voix des Guadeloupéens, des Martiniquais", rappelant devant la presse avoir "initié la première plainte", juste avant d'entrer lundi à l'audience qui se tient à huis clos devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel. Dix-sept années après la première plainte, quinze après l'ouverture d'une information judiciaire à Paris, deux juges d'instruction parisiennes ont donc prononcé un non-lieu en janvier 2023, suscitant amertume et colère aux Antilles.
- "Presque indécent" -
Les magistrates ont pourtant reconnu dans leur ordonnance un "scandale sanitaire" et une "atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants" ultramarins concernés. Mais l'ordonnance a aussi pointé la difficulté de "rapporter la preuve pénale des faits dénoncés", "commis 10, 15 ou 30 ans avant le dépôt de plaintes".
Quelles sont les chances pour les parties civiles de faire rouvrir l'enquête ? "C'est comme si on te demandait de monter l'Everest en courant contre les vents, en pleine neige, ça me semble difficile, voire impossible", lance Me Ursulet, avocat des parties civiles. Les parties civiles ont d'ailleurs été refroidies par le réquisitoire de l'avocat général. "Ce n'était pas digne d'un tel moment, que le représentant de l'État se contente de renvoyer nos protestations à de simples jérémiades de gens en colère", a commenté à la mi-journée hors salle d'audience Georges-Emmanuel Germany, autre avocat des parties civiles.
Son confrère Olivier Tabone, autre conseil des parties civiles, a lui aussi trouvé la "concision" du réquisitoire de l'avocat général "presque indécent, voire irrespectueux" au regard de "la nature et l'enjeu de ce dossier". Certains avocats pensent désormais que l'audience, prévue initialement sur deux jours, pourrait s'achever soit dans la soirée, soit mardi matin. La décision devrait être mise en délibéré à une date ultérieure.
- "Rien n'est perdu" -
"Ce n'est pas perdu, parce que rien n'est perdu, mais il faut faire entendre notre voix : il faut aussi que les élus de la Martinique et de la Guadeloupe se fâchent, qu'ils tapent du poing sur la table", a martelé Me Ursulet avant l'ouverture de l'audience. Et d'ajouter : "Si ça se passait dans une autre région de France, ça ne se passerait pas comme ça. Alors pourquoi on inflige cette humiliation-là à ces hommes et à ces femmes qui ont déjà tant souffert ?"
"Chaque jour qui passe, Guadeloupéens et Martiniquais s'empoisonnent", rebondit en écho Me Harry Durimel, figure des parties civiles, tout comme Me Jean-Claude Durimel, son cousin. Selon des études récentes des autorités sanitaires françaises, plus de 90 % de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone. Ce produit est nocif pour la santé, impliqué "notamment dans la survenue du cancer de la prostate et d'anomalies du déroulement de la grossesse", lit-on sur le site de l'Assurance maladie depuis 2023. Or le taux d'incidence du cancer de la prostate en Guadeloupe et en Martinique est parmi les plus élevés au monde.
Me Tabone précise que ce recours en appel "n'est pas la dernière carte à jouer", évoquant si nécessaire un recours devant la justice européenne.
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