"La République a trahi ses enfants" : les parties civiles dénonçant le scandale sanitaire du Chlordécone sauront le 23 mars 2026 si l'enquête est rouverte à leur demande, nouveau chapitre d'un dossier vieux de 20 ans, toujours aussi sensible aux Antilles.
Colère et amertume demeurent depuis le non-lieu prononcé en janvier 2023 par deux juges d'instruction parisiennes et contesté lundi et mardi par les parties civiles devant la Cour d'appel de Paris, qui rendra donc sa décision au printemps prochain. "Quand la France dit qu'elle est le pays des droits de l'homme, eh bien non, aujourd'hui, les droits de l'homme ont été bafoués", cingle pour résumer cette affaire Me Louis Boutrin, un des avocats des parties civiles, à l'issue de l'audience tenue à huis clos.
"La République a trahi ses enfants, la République a craché sur eux", renchérit Me Alex Ursulet, autre conseil des parties civiles. "Le Chlordécone, ce n'est pas juste une pollution, c'est aussi la mort de l'économie et la mort de la souveraineté alimentaire dans nos territoires", pointe aussi Lilith, pseudonyme de cette militante du Collectif des ouvriers agricoles empoisonnés par les pesticides (Coaadep), venue témoigner son soutien aux avocats.
Quand la décision du 23 mars 2026 sera rendue, cela fera 20 ans que la justice se penche sur ce dossier tentaculaire, du nom d'un pesticide répandu dans les bananeraies en Guadeloupe et Martinique pour lutter contre le charançon jusqu'en 1993. Produit pourtant classé depuis 1979 comme agent possiblement cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer.
- "Fantômes" -
En ce début de semaine à la Cour d'appel de Paris, face à un "ministère public qui s'est contenté de quatre minutes pour dire qu'il fallait confirmer le non-lieu", Me Christophe Lèguevaques, un des avocats des parties civiles, a plaidé au nom de ces "fantômes qui hantent les palais de justice", ces "victimes" longtemps "niées, méprisées".
En écho, Me Georges-Emmanuel Germany, autre conseil des parties civiles, stigmatise des "magistrats instructeurs qui ne sont pas venus en Martinique et en Guadeloupe à la rencontre des vivants et des morts". "Parce qu'ils peuvent même déterrer les gens qui s'amusaient à épandre du Chlordécone et qui en sont morts".
Dès 2006, de premières plaintes pour administration de substances nuisibles ou empoisonnement, contre l'Etat ou contre X, émanent d'associations guadeloupéennes et martiniquaises de producteurs agricoles, consommateurs, défenseurs de l'environnement ou encore protection de la santé. Une information judiciaire est ensuite ouverte en 2008 à Paris.
"Plus le temps passe et plus les victimes quittent la vie pour rejoindre l'au-delà et rien n'est certain pour ceux qui vont rester", déplore André Bazin, militant de "Ultramarins Doubout", association luttant contre les injustices sociales et économiques en outremer, également présent dans les couloirs de la Cour d'appel.
- "Légitime colère" -
Me Lèguevaques veut voir "une source d'espoir" dans les arguments soutenus par les parties civiles, notamment que la prescription ne tient pas face à la persistance du Chlordécone dans le temps.
L'ordonnance de non-lieu de janvier 2023 repose en effet, notamment, sur la difficulté de "rapporter la preuve pénale des faits dénoncés", "commis 10, 15 ou 30 ans avant le dépôt de plaintes". A l'opposé du ressenti de Me Lèguevaques, Me Ursulet assène: "Nous sommes dans un monde fermé, post-colonial, les jeux sont faits."
Si, comme il le pressent, le non-lieu est confirmé en appel, il y a encore des recours comme "la Cour de cassation, évidemment" puis, en cas de nouvel échec des parties civiles, "la Cour européenne", énumère-t-il.
Me Boutrin évoque "parallèlement, une action au niveau de l'Organisation des Nations unies", estimant que la France viole dans ce dossier "des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme".
Et Me Ursulet de conclure sur une mise en garde: "Lorsque le peuple se réveille dans une légitime colère, alors il faut faire attention."
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