Dans une petite salle, portrait de Jean Paul II au mur, les bénévoles d'une association caritative s'activent, charlottes sur la tête, avant de distribuer 25 paniers alimentaires. Les bénéficiaires repartent "avec un sourire sur le visage", dans une société martiniquaise marquée par la vie chère.
Sac à main en bandoulière, Ghislaine Gourpil, 65 ans, plonge ses courses dans son caddie rouge, trop petit pour accueillir toutes ces denrées.
"J'ai au moins 100 euros de courses", se réjouit-elle. Des pâtes, du gel douche, de la viande, du poisson, des légumes, les produits, nombreux, sont variés. Organisme caritatif, la Société de Saint-Vincent-de-Paul attend une participation symbolique de 5 euros.
Cette fois-ci, Ghislaine Gourpil demande un crédit. En ce 27 septembre, il ne lui reste que 2,12 euros sur son compte en banque. Sa retraite de 886 euros et sa pension complémentaire de 122 euros arrivent respectivement les 9 et 2 du mois.
Son loyer, à 450 euros, "ses dettes", le prix de l'eau et de l'électricité dans un territoire tropical, ne permettent pas à cette femme seule de s'en sortir. À sa retraite, elle a perdu 400 euros.
Pour cette femme devenue mère à 16 ans et demi, cet organisme est "une famille". La sienne ne l'aide pas, affirme-t-elle.
"J'ai six frères, je suis dans la galère. Ma mère est décédée. Il y a de l'argent sur le compte, il n'y en a pas un qui puisse s'entendre pour qu'on puisse partager", raconte-t-elle, assurant que sa fille n'a pas la possibilité de l'accompagner.
"Tout le monde pleure, la vie chère, la vie chère", déclare Ghislaine Gourpil, avec un débit mitraillette. En Martinique, les denrées alimentaires sont 40% plus chères qu'en métropole, selon l'Insee.
"S'il y avait une solidarité familiale, on n'aurait pas eu besoin de manger dans les associations", poursuit celle qui a perdu sa soeur. Elle vivante, "je ne serais pas là", dit-elle.
L'entraide familiale existait auparavant, affirme Mario Germé, président de l'antenne locale de Saint-Vincent-de-Paul dans ce quartier de Fort-de-France. Mais avec l'exode rural, "ça se perd un peu".
Depuis le Covid, le nombre de familles bénéficiaires augmentent.
"On a beaucoup de retraités (...) et beaucoup de familles monoparentales", dit Nathalie Ollon, responsable alimentaire de l'association.
"Les retraités, surtout ceux qui ont une petite retraite, ils ont des difficultés à joindre les deux bouts", poursuit-elle, et, avec la vie chère, "même ceux qui travaillent ont des difficultés".
Jeanne-Yvette Cancoriet, 63 ans, donne un billet de 20 euros en récupérant son panier, pour compenser d'anciens crédits. "La participation pour moi, ça prouve que je suis dans la misère tout en me respectant", confie l'ancienne cuisinière, victime d'AVC "de façon chronique", affirme-t-elle, depuis un premier accident vasculaire cérébral en 2016.
Ses grands enfants l'aident, mais pas toujours. Elle ne reçoit que 515 euros par mois.
"Je n'ai pas honte de venir ici", assure-t-elle, en remplissant son caddie gris. "Je me sens bien", dit la sexagénaire dans un grand sourire, après avoir récupéré ses denrées.
D'autres familles viennent récupérer leurs paniers, comme Marie-Elsie, qui vit avec son mari et ses cinq enfants et Bonnilla, un père de famille, originaire de l'île voisine de la Dominique.
L'équipe de la Société de Saint-Vincent-de-Paul le reconnaît, les Martiniquais "n'aiment pas trop la charité".
"On sait qu'il y a des Martiniquais qui ont besoin de cette charité et qui ne font pas cette démarche", regrette Mme Ollon. "C'est la peur d'être vu et la peur aussi d'être jugé", avance-t-elle.
"À la Martinique, tout le monde se connaît", analyse Justin Daniel, professeur de Sciences politiques. "Quand une personne est dans cette situation de souffrance, elle a peur que ça se sache", poursuit le chercheur.
Les bénévoles, elles, participent à ces distributions alimentaires "avec amour", accompagnées de leur foi. "C'est un plaisir pour nous de se mettre au service des plus démunis", déclare, gilet bleu sur les épaules, Annie Grubo, 70 ans.
La religion a une place importante dans la vie quotidienne des Martiniquais, note l'Insee, 35% d'entre eux ont participé à une fête religieuse dans l'année, selon une étude menée avant le Covid, en 2019-2020.
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