En Nouvelle-Calédonie, une crise qui nourrit la faim

Un par un, Kiki Josette dépose dans sa cuisine les sachets de pâtes, de riz, de lait en poudre. Sans ce panier d'aide alimentaire, fourni par une association dans son quartier sensible de Nouméa, cette Calédonienne n'aurait "plus rien" à manger.

Devant un frigo rouillé et quasi-vide, la grand-mère de 66 ans, égrène un calcul rapide et sans appel : une retraite d'environ 1.500 euros, un loyer de 600 euros, les factures d'électricité, d'eau...

"A la fin, il n'y a plus rien, je ne peux plus m'acheter à manger", explique-t-elle en ce jeudi après-midi, au premier étage de son HLM délabré de Rivière salée.

Le sac de courses va lui permettre de "tenir 15 jours", espère cette femme kanak, pour qui la vie est devenue "très difficile" depuis les émeutes qui ont secoué en mai l'archipel et ravagé son tissu économique. Quatre mois plus tard, une profonde crise sociale s'y dessine.

Aucune estimation officielle n'a été dressée, mais selon la Banque alimentaire de Nouvelle-Calédonie, 20.000 personnes en besoin d'aide pour se nourrir s'ajoutent progressivement aux 10.000 bénéficiaires déjà identifiés.

"Il faut absolument qu'on se relève très vite, parce qu'on va vers une crise alimentaire très dure", estime sa présidente Betty Levanqué.

Lors de son dernier congrès fin août, l'alliance indépendantiste du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a même prévenu qu'aux violences de mai sur fond politique pouvaient désormais succéder des "émeutes de la faim".

  • "Ça va péter" -

Les signaux faibles sont là, avertit Arnaud Chollet-Léakava, un responsable du FLNKS qui dirige la Fondation pour les sans-voix, prenant l'exemple de cambriolages sur l'archipel lors desquels on vole désormais du riz ou du pain.

"A un moment donné, ça va péter, les gens vont aller voler dans les magasins", pense-t-il.

Francis Maluia, qui a créé dans la foulée des émeutes l'association Solidarité RS, qui aide les riverains de Rivière salée comme Josette Kiki, a lui aussi vu la situation se tendre.

Il a accéléré la cadence des livraisons lorsqu'un homme a tenté d'agresser au sabre sa propre soeur qui avait réceptionné son colis alimentaire - elle habite l'appartement voisin.

"J'ai l'impression que c'est chaque jour plus difficile", souffle celui qui s'est donné pour mission d'"aider les plus vulnérables", 2.500 personnes pour son seul quartier défavorisé.

Ces derniers temps, un profil parmi ceux qui demandent de l'aide inquiète particulièrement Francis Maluia, qui a installé son association dans la cour de sa maison, aujourd'hui envahie de palettes et de cartons remplis de vivres : aux néo-chômeurs, dont les entreprises ont été saccagées, s'ajoutent désormais des travailleurs qui n'arrivent plus à joindre les deux bouts, en raison de l'inflation.

  • Honte -

Jean-Baptiste Maukava en fait partie. Le magasinier wallisien de 19 ans, carrure de pilier de rugby, est le seul de son foyer à travailler.

"Je peux faire les courses au début du mois, mais vers la fin, c'est dur. Heureusement que l'association nous aide, sinon j'aurais dû demander un acompte à mon patron", confie le jeune homme, une de ses filles jumelles dans les bras, l'autre gigotant dans un trotteur.

Bébés obligent, Jean-Baptiste Maukava a reçu un panier différent, garni notamment de couches et de lait infantile.

"C'est un peu honteux d'avoir besoin d'aide pour vivre. Mais j'ai dû mettre mon égo de côté et assumer", avoue le gaillard.

Face à la précarité qui fragilise la Nouvelle-Calédonie, où tous les voyants sociaux sont désormais au rouge, les "besoins primaires" explosent, remarque lui aussi Michel Toyon, militant de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) et fondateur d'Action solidaire.

Sur le bout de terrain aux airs de déchetterie qu'il occupe dans un quartier sensible, ses containers et bus sans roue sont remplis à ras bord de cartons de linge, de vêtements, de vaisselle.

Et avec tant de familles qui ont "tout perdu pendant les émeutes", tout trouve preneur.

Même la tôle qu'il récupère est demandée par des familles qui ont dû quitter leur logement pour s'installer dans un squat.

Celles qui se tournent vers lui sont toutes autochtones. "C'est un peuple fier", souligne Michel Toyon. "S'ils se rabaissent à aller chercher ça, c'est signe que les gens sont désespérés."


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