Cerf, crevette et société plurielle: en Calédonie, une foire pour souffler dans un territoire sous tension

Brochettes de cerf qui grésillent, lancer de tongs, stands de crevettes fumantes: dans la chaleur humide de Boulouparis, la fête du cerf et de la crevette bat son plein. Un moment de répit dans une Nouvelle-Calédonie encore marquée par les émeutes de 2024.

Dans cette commune rurale de 3.500 habitants, citadins échappés de la ville, broussards à chapeau de stockman (cowboy australien), Kanak et Calédoniens de toutes origines font de cette foire un incontournable de la vie du territoire.

L’emplacement est idéal: première commune agricole du territoire, Boulouparis n’est qu’à une heure de Nouméa mais reste un bastion rural avec son hippodrome, ses montagnes au loin et son esthétique western assumée. “La porte d’entrée de la brousse”, clame un panneau à l’entrée de la ville.

Sous les tonnelles, les communautés se croisent dans une apparente bonhomie. “On voit toutes les Calédonies ici: les broussards, les Zoreilles (métropolitains), les Kanak, les îliens…”, énumère Grégory Debourg, 23 ans, venu de Nouméa. “On ne pense plus à la politique, on est là pour respirer.”

Pas si simple, répond Sony Aucher, 81 ans, élégante octogénaire assise à l’ombre. “Il n’y a quand même pas beaucoup de Kanak”, observe-t-elle d’un oeil acerbe. Métisse, elle se revendique Kanak et défend l’indépendance. Son frère, lui, y est farouchement opposé.

Son fils Éric, 62 ans, ancien ingénieur des mines, préfère faire un pas de côté. “Le vrai problème, ce sont les inégalités. L’économie du pays est majoritairement aux mains des non-Kanak.”

“On est encore loin du destin commun”, juge-t-il, référence à cet horizon mythifié en Nouvelle-Calédonie d’un avenir partagé entre les différentes communautés, promu par les accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998).

Mais il garde espoir: “Le développement, c’est la clé. Et il faut mieux se connaître, se parler”.

Sur l’herbe humide du champ de foire, les stands de churros, saucisses fumées et danses polynésiennes attirent une foule compacte. Le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a fait une apparition le matin même.

La fête se tient alors que la Nouvelle-Calédonie vit une nouvelle séquence politique délicate. Indépendantistes et non-indépendantistes ont entamé cette semaine un troisième round de discussions sur l’avenir institutionnel du territoire qui se poursuivra à partir de lundi, sans doute loin de Nouméa.

Cohabitation tranquille, mais fragile

C’est Karlheinz Creugnet, Boulouparisien “depuis cinq générations” et premier adjoint au maire de la commune, qui a forgé les fers à marquer le bétail offerts à Manuel Valls à l’ouverture de la foire.

“Ici, on tient à garder cette identité broussarde”, prévient-il d’emblée. C’est-à-dire, explique-t-il, être mélangé et “vivre tous ensemble”. Il précise sa pensée: “On est obligés de vivre ensemble ici. Ça permet des échanges, tout en respectant nos coutumes, nos façons d’être.”

Non-indépendantiste, cet éleveur juge essentiel que le ministre soit venu. “Mais il ne faut pas aller trop vite, vouloir imposer un accord”, prévient-il. Et l’indépendance ? “Peut-être qu’un jour on y sera, mais il vaudrait mieux aujourd’hui retravailler l’économie du pays.”

Un peu plus loin, Suzanne Mazurier, 74 ans, vend fièrement ses saucissons de cerf pimentés. “Artisan”, comme elle le revendique, elle abat et dépèce elle-même les bêtes éparpillées sur son élevage de 1.200 hectares à Bourail, une commune plus au nord.

Elle se dit “Mélanésienne” parce qu’elle parle l’ajië, langue kanak de Houaïlou, sur la côte est calédonienne. Elle y vivait jusqu’aux événements de 1984, quand de nombreux Caldoches installés dans les régions à majorité kanak ont dû fuir, pris dans un climat de violence quasi-insurrectionnelle entre indépendantistes et anti-indépendantistes.

A Manuel Valls, elle a dit que “la Calédonie est française et doit rester française”. Depuis les émeutes, dit-elle, “il y a de la méfiance qui est revenue”. Même à Boulouparis ou Bourail, pourtant épargnées par la violence mais qui paient aujourd’hui le prix de la crise économique traversée par le territoire.

Quand-même, “j’aime bien la convivialité”, convient-elle: “Toutes les foires, c’est comme ça ! On oublie. Et puis c’est bien de cohabiter”.

Assise non loin, Sony Aucher regarde des enfants jouer entre les stands. “C’est le mélange qui devrait avoir lieu en Nouvelle-Calédonie. Mais ce sont des fêtes, chacun fait son petit truc et repart, puis c’est terminé. Ça ne devrait pas être comme ça.”

Thibault MARCHAND


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