L'interminable rêve de retour des Chagossiens suspendu à l'avis de Trump

Les Chagossiens, qui luttent depuis cinq décennies pour revoir les îles paradisiaques de l'océan Indien dont le Royaume-Uni les a expulsés, devront encore attendre : l'accord "historique" rétrocédant leur archipel à Maurice, annoncé en octobre, sera suspendu à l'avis de Donald Trump.   

Mardi, Port-Louis et Londres, sans sembler alignés sur l'état d'avancement des négociations autour du texte final, ont réaffirmé leur volonté de le soumettre à Washington, qui opère une base militaire stratégique sur la plus grande des îles Chagos, Diego Garcia. Bien que l'accord prévoit le maintien de la base, le nouveau secrétaire d'Etat américain Marco Rubio l'a qualifié peu avant sa prise de fonction fin janvier de "menace sérieuse" pour la sécurité des États-Unis.   

Les expulsés des Chagos et leurs descendants, une communauté passée d'environ 2.000 personnes au tournant des années 1970 à 10.000 aujourd'hui, réparties entre Maurice, les Seychelles et le Royaume-Uni, se résignent à patienter, encore. Leur grand espoir, le droit au retour sur les îles - toutes fermées d'accès et inhabitées exceptés les militaires et personnels de la base - a été ouvert par l'accord, à l'exception de Diego Garcia. Aux Seychelles, le président du comité chagossien local évoque "la plus belle opportunité du monde".   

"C'est un endroit intact, avec très peu de constructions, où la nature s'est complètement restaurée au cours des 50 dernières années", dépeint Pierre Prosper, né à Peros Banhos, une des trois seules îles où vivaient les Chagossiens sur un total de 55. Il souligne combien "les îles sont très similaires aux Maldives", l'une des terres émergées les plus proches, à un bon millier de kilomètres au nord, et se projette déjà dans le potentiel touristique, la pêche durable, un développement zéro carbone.    

- "Fils du sol" -   

A Maurice, le Groupe Réfugiés Chagos raconte qu'une équipe travaille déjà à la réinstallation, pour reconstruire routes, logements, écoles. Pour "donner la chance à ceux qui veulent retourner, passer leurs derniers jours à Peros Banhos, Salomon et peut-être à l'avenir à Diego Garcia", plaide Olivier  Bancoult, son président.   

Cette voix de la communauté s'indigne que cette dernière île reste inaccessible "aux fils du sol" quand des "Philippins, Singapouriens, Sri Lankais" travaillent sur la base. Des dissensions agitent certes la communauté, mais elle se retrouve, sur plusieurs générations, dans la nostalgie du pays perdu. Juste après l'annonce, un Chagossien du Royaume-Uni avait raconté son sentiment d'être "déraciné."   

A l'indépendance de Maurice en 1968, Londres a gardé le contrôle sur l'archipel, acheté trois ans plus tôt aux institutions mauriciennes, encore semi-autonomes. Dès 1966, le pouvoir colonial avait signé un bail autorisant les Etats-Unis à utiliser Diego Garcia à des fins militaires. Tandis que la base est construite, les Chagossiens sont tous expulsés, progressivement, entre 1968 et 1973.   

Ils entament rapidement une lutte longue, opiniâtre devant la justice britannique, puis les plus hautes instances internationales. Saisie, la Cour internationale de justice (CIJ) a estimé en 2019 que le Royaume-Uni avait "illicitement" séparé les Chagos de Maurice, l'enjoignant à mettre fin à son administration. La même année, l'Assemblée générale de l'ONU adopte une résolution, non contraignante mais à forte valeur politique, donnant six mois à Londres pour rétrocéder l'archipel. Le Royaume-Uni ignore le délai, insistant sur la mission défensive de Diego Garcia contre "les menaces terroristes, le crime organisé et la piraterie".    

- "Crime colonial" -    

En 2023, l'ONG Human Rights Watch (HRW) a publié un rapport dénonçant dans le traitement des Chagossiens un "crime contre l'humanité" et un "crime colonial". "Les documents, les faits montrent que le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont délibérément et secrètement planifié le déplacement forcé d'un peuple entier", affirme Clive Baldwin, conseiller juridique à HRW et basé à Londres.   

De tels déplacements n'ont pas eu lieu "pour d'autres peuples qui vivaient près de bases militaires, à Chypre, aux Malouines", note-t-il. "Le racisme derrière tout ça, à ce moment là, est très frappant dans les documents." Les Chagossiens sont des descendants d'esclaves africains amenés au 18e siècle sur l'archipel, alors sous domination française, pour cultiver la noix de coco et le coprah. A l'époque des expulsions, un câble britannique les décrit comme "quelques Tarzans et Vendredis".   

Ailleurs dans le monde, le retour de déplacés peut se confronter à l'établissement, entre temps, de millions d'autres personnes sur place, pointe M. Baldwin, citant les exemples des Palestiniens et les Rohingyas. Ici on parle en "milliers et les îles sont presque toutes entièrement vides", ajoute l'expert. A Maurice, M. Bancoult prend son mal en patience. "On peut pas, nous, décider à la place du gouvernement (mauricien). L'important c'est qu'il y a quand même cet accord entre la Grande-Bretagne et l'île Maurice", dit-il.


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