Les séquelles du nucléaire toujours présentes en Polynésie trente ans après la reprise des essais

Le 13 juin 1995, le président Jacques Chirac annonçait la reprise des essais nucléaires en Polynésie française. Trente ans après, ces nouveaux tirs menés sur les atolls de Moruroa et Fangataufa continuent de hanter la collectivité ultramarine. L'anniversaire coïncide avec la publication attendue, la semaine prochaine, d'un rapport sur la politique française d'expérimentation nucléaire. Sa rapporteure, la sénatrice polynésienne Mereana Reid-Arbelot (GDR), espère voir émerger une proposition de loi permettant enfin une meilleure indemnisation des victimes du nucléaire.

En 1992, François Mitterrand avait instauré un moratoire. Trois ans plus tard, son successeur Jacques Chirac lançait une ultime campagne de six tirs. Il les jugeait nécessaires pour "passer au stade de la simulation en laboratoire" et affirmait qu'il n'y aurait "strictement aucune conséquence écologique". Les émeutes qui avaient suivi à Papeete n’y avaient rien changé. L’aéroport et de nombreux commerces avaient été incendiés, des militants antinucléaires avaient affronté les forces de l’ordre. Le président Chirac parlait d’une décision "irrévocable".

L’argument de l’absence d’effets sanitaires a longtemps servi à justifier les essais. Aujourd’hui, les données avancées par les instances étatiques sur les doses de radiation reçues par la population ne font pas consensus parmi la communauté scientifique. Mais la promesse faite par le général de Gaulle en 1966 aux Polynésiens paraît bien lointaine. "Toutes les dispositions sont prises pour que ça n’ait aucun inconvénient d’aucune sorte pour les chères populations de la Polynésie", assurait-il lors d’un déplacement à Tahiti.

Au total, 193 tirs ont été effectués entre 1966 et 1996 en Polynésie française. Soixante ans après le début de la campagne, plusieurs centaines de Polynésiens attendent toujours une reconnaissance officielle des maladies qu’ils lient aux essais nucléaires. La CPS, l’organisme de sécurité sociale locale, chiffre à plus d’un milliard d’euros le coût des pathologies radio-induites, et entend transmettre la facture à l’État.

"On m’a enlevé le rein gauche, j’ai eu un cancer et des points noirs sur tout le corps", confie Marius Chan, gendarme polynésien de 79 ans, en poste à Moruroa entre 1978 et 1981. "Mon père travaillait en pharmacie, on savait que c’était dangereux. Mais j’étais gendarme : j’ai fait mon devoir", souligne-t-il. Il fait partie des 80 personnes auditionnées par la commission d’enquête de Mme Reid-Arbelot, qui a aussi entendu de nombreux ministres et anciens ministres.

- Modifier la loi Morin -

Une loi a bien été votée en 2010 pour faciliter les indemnisations. La loi Morin, du nom du ministre de la Défense de l’époque Hervé Morin, crée un droit à réparation pour les personnes – ou leurs ayants droit – atteintes de l’une des 23 pathologies reconnues comme potentiellement radio-induites. Mais pour beaucoup, le dispositif reste insuffisant.

"On voudrait modifier en profondeur la loi Morin, pour indemniser rapidement un maximum de Polynésiens, puis ouvrir une réflexion sur les maladies transgénérationnelles", insiste Antony Géros, président indépendantiste de l’Assemblée de la Polynésie française. Fait rare, cette exigence dépasse les clivages politiques locaux. "Évidemment que ça a été un crime, et on espère, dans tous les domaines, pouvoir rattraper ça au maximum maintenant", affirme le député autonomiste Moerani Frébault.

L’élue autonomiste à l’Assemblée locale, Tepuaraurii Teriitahi, insiste : "L’objectif est d’avoir les moyens nécessaires, donc des budgets, pour soigner et dédommager les malades et leurs familles pour la souffrance supportée". Même l’ancien président Gaston Flosse, défenseur ardent des essais nucléaires lorsqu’il était au pouvoir (1991-2004), reconnaît désormais avoir été "trompé".

"J’ai cru aux engagements pris par les deux présidents de la République", François Mitterrand et Jacques Chirac, a-t-il affirmé sur la chaîne polynésienne TNTV. Selon lui, tous deux lui avaient assuré qu’il n’y avait "aucun danger pour la santé des populations". En visite à Tahiti en 2021, le président Emmanuel Macron avait annoncé une simplification des démarches pour faciliter les indemnisations, ainsi que l’ouverture des archives liées au Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP). Il s’était cependant refusé à présenter des excuses officielles, réclamées par les indépendantistes et associations antinucléaires.

Le centre de mémoire promis par l’ancien président François Hollande lors de sa visite à Papeete en 2016 reste, lui aussi, lettre morte. "On veut inclure cette page d’histoire dans les programmes scolaires nationaux", insiste la sénatrice Mereana Reid-Arbelot. "Nous, on apprend l’Histoire de France. En France, on a l’arme nucléaire mais on n’apprend pas comment on l’a obtenue."


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