Lutter contre la dengue ou le chikungunya, avec des armes plus ou moins efficaces: les lâchers de moustiques contre la prolifération d’insectes vecteurs de ces maladies ont une efficacité variable, montre jeudi l’Anses, invitant à surveiller d’éventuels effets non souhaités.
En France, où le chikungunya a flambé à La Réunion et Mayotte mais aussi dans l’Hexagone ces derniers mois et où des lâchers de moustiques ont été effectués, y compris en métropole pour la première fois, cette première évaluation était “assez attendue”, dit Johanna Fite, chargée de mission “vecteurs et lutte anti-vectorielle” à l’agence sanitaire.
Face à la prolifération des moustiques hors de leurs zones endémiques favorisée par le réchauffement climatique et la propagation croissante des maladies transmises aux humains, les lâchers de moustiques - alternative aux insecticides -, ont été testés dans plusieurs pays à partir des années 2000 contre les moustiques du genre Aedes, dont le fameux moustique tigre.
Le principe: disséminer des insectes biologiquement modifiés et élevés dans des fermes à moustiques, pour diminuer des populations d’autres moustiques ou réduire leur capacité à transmettre certains virus.
Différentes méthodes existent, et l’agence sanitaire les a comparées à partir d’une soixantaine d’études scientifiques.
La technique de l’insecte stérile consiste à lâcher des mâles rendus stériles par irradiation: lorsqu’ils s’accouplent avec les femelles sauvages, ces dernières pondent des œufs non viables.
Verdict: il est “avéré” qu’elle réduit le taux d’éclosion des œufs du moustique tigre et “probable” pour celui d’Aedes aegypti.
Avec la technique de l’insecte incompatible, des mâles sont contaminés par une bactérie (Wolbachia). Si une femelle porteuse d’une souche différente - ou non porteuse - de la bactérie s’accouple avec un mâle porteur de la souche sélectionnée, les œufs ne se développeront pas.
“Adhésion” de la population"
Cette méthode peut “réduire le taux d’éclosion des œufs et le nombre de femelles des trois espèces d’Aedes étudiées”, estime l’agence. Mais on manque de données pour déterminer si ces deux techniques “peuvent effectivement réduire l’incidence des maladies” propagées par ces moustiques, selon son évaluation.
Pour la troisième technique, celle du remplacement, des mâles et des femelles infectés par une souche de Wolbachia qui réduit la capacité des moustiques à transmettre un virus sont lâchés pour remplacer progressivement les moustiques locaux. Effet “avéré” pour diminuer l’incidence de la dengue, “possible” pour réduire celle du chikungunya, conclut l’agence.
Le World Mosquito Program, programme de recherche collaborative financé notamment par la Fondation Bill and Melinda Gates, a mis au point ce procédé il y a environ 15 ans et fait plusieurs lâchers (Australie, Brésil, Indonésie, Colombie…).
S’ils semblent prometteurs, les lâchers de moustiques nécessitent “de la surveillance et de la transparence”, prévient Johanna Fite. “Plein d’éléments peuvent modifier l’efficacité: le nombre de lâchers, leur fréquence… et sont à documenter”, précise-t-elle.
Et des “effets non intentionnels”, tels que l’apparition de phénomènes de résistance chez les insectes, une perturbation des chaînes alimentaires ou une modification des dynamiques de transmission des virus à l’humain notamment, peuvent apparaître. “Peu documentés”, ils sont à examiner, juge l’Anses.
“Ce genre de prestations coûte cher”, souligne Mme Fite.
Ces lâchers de moustiques n’étant pas encadrés en France, l’Anses recommande un statut réglementaire pour les insectes irradiés ou porteurs de Wolbachia et une déclaration obligatoire des entreprises qui mettent ces insectes sur le marché auprès d’une autorité (préfecture, Agence régionale de santé).
Et “l’adhésion” de la population est cruciale: “si les gens s’inquiètent de ces techniques et sans leur mobilisation contre les gîtes larvaires, ça ne marchera pas”, avertit la scientifique.
Enfin, les lâchers ne supprimeront pas à eux seuls les nuisances dues aux moustiques Aedes ni les risques de transmission de maladies, souligne l’Anses: ils devront être combinés à d’autres outils.
“Ce n’est pas une solution miracle”, résume l’experte.
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