Nouvelle-Calédonie : un sommet à Paris à l'issue très incertaine

Emmanuel Macron réunit à partir de mercredi à Paris les acteurs politiques et économiques de Nouvelle-Calédonie pour un sommet destiné à sortir de l’impasse le territoire français du Pacifique, laissé exsangue par des violences d’une ampleur inédite en quarante ans.

Indépendantistes et non-indépendantistes ont accepté la convocation du chef de l’État qui « ouvrira » et « introduira » ce sommet, selon son entourage. « L’idée, c’est de les faire discuter entre eux. C’est la méthode conclave qui se reproduit », a-t-on ajouté. Les forces politiques calédoniennes s’étaient quittées le 8 mai sans parvenir à un accord sur l’avenir institutionnel de l’archipel, au terme de trois jours d’un conclave sous l’égide du ministre des Outre-mer Manuel Valls, organisé dans un hôtel de Deva, à 2h30 de Nouméa.

Le projet de « souveraineté avec la France » présenté par le gouvernement, qui prévoyait une « double nationalité, française de droit et calédonienne », ainsi qu’un « transfert et une délégation immédiate des compétences régaliennes », avait suscité l’indignation de la frange dure des non-indépendantistes, qui estimait qu’il revenait de fait à acter l’indépendance du territoire.

Après cet échec, le chef de l’État a souhaité reprendre la main et a formellement convoqué le 24 juin les forces politiques, économiques et sociales de l’archipel à Paris. Emmanuel Macron « est à l’initiative même si ça ne s’est jamais fait dans le dos de Manuel Valls », selon son entourage. L’ancien Premier ministre sera bien associé aux discussions.

Lors d’une réunion publique mercredi, Sonia Backès, cheffe de file des Loyalistes et présidente de la province Sud, a exprimé son « soulagement » de voir le chef de l’État reprendre la direction des discussions, estimant que l’option « d’indépendance-association » défendue par Manuel Valls avait constitué un « cauchemar éveillé ». Gil Brial, deuxième vice-président de la province, a défendu un changement radical. « La seule façon de s’en sortir, c’est de refaire venir du monde en Nouvelle-Calédonie et leur donner le droit de vote, c’est ça le projet ! », a-t-il lancé devant des centaines de personnes.

Pour l’ensemble des indépendantistes, au contraire, le projet de Deva constitue désormais le socle minimal des discussions. Tout en pointant « un manque de clarté » dans la méthode, le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), alliance des mouvements indépendantistes calédoniens, a confirmé sa participation lors d’une convention samedi à Pouébo (au nord-ouest de la Grande Terre), rappelant qu’aucun échange « ne se fera en deçà » de cette proposition.

Calédonie ensemble, parti non-indépendantiste modéré, estime quant à lui que s’opposer au projet revient à « s’exposer à un statut de souveraineté sans la France ou un statut de souveraineté où la France ne sera plus le partenaire exclusif du pays ». Il propose une période de stabilisation économique et sociale de 10 à 15 ans, pour donner une ultime chance au consensus.

- Enjeux économiques -

Dans son courrier convoquant ce sommet, Emmanuel Macron a assuré que les discussions « dureront le temps nécessaire à ce que les sujets lourds que nous aurons à aborder puissent l’être avec tout le sérieux qu’ils méritent ». Il souhaite, au-delà des sujets institutionnels, une approche globale, incluant également « les enjeux économiques et sociétaux ».

Pour plusieurs élus calédoniens, l’enjeu de ces discussions est davantage économique qu’institutionnel, un an après les émeutes qui ont fait 14 morts et plus de 2 milliards d’euros de dégâts, sur fond de mobilisation contre un projet d’élargissement du corps électoral au scrutin provincial calédonien. Les réformes exigées par l’État, conditionnant le versement de la deuxième tranche d’un prêt d’un milliard d’euros, peinent à aboutir. Sans cette aide, les collectivités pourraient rapidement se retrouver en difficulté pour financer leurs missions essentielles, comme cela a été rappelé au Congrès la semaine dernière.

« On est capable d’avoir des points d’accord sur ces sujets-là, ce qui est moins évident sur le plan politique », a affirmé Sonia Backès. Le FLNKS a toutefois mis en garde l’État « contre toute tentative d’utiliser ces problématiques pour influer sur les discussions politiques », soulignant que la stabilité politique, « préalable à la stabilité économique et sociale, s’obtiendra uniquement dans le processus d’accès à la pleine souveraineté ».

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Des accords de Matignon au sommet de Paris

Depuis 1988, la Nouvelle-Calédonie est lancée dans un difficile processus de décolonisation par étapes. Face à l’impasse actuelle, Emmanuel Macron a convoqué les acteurs locaux à un sommet à partir de mercredi à Paris.

1988 : Ouvéa et Matignon

L’archipel du Pacifique sud, français depuis 1853, connaît de fortes tensions dans les années 1980, avec le boycott en 1984 des élections territoriales par les indépendantistes du FLNKS et surtout la prise d’otages et l’assaut de la grotte d’Ouvéa en mai 1988, au cours desquels 19 militants kanaks et six militaires français sont tués. Moins de deux mois après, le 26 juin 1988, les accords tripartites dits « de Matignon » sont conclus non sans mal entre Jean-Marie Tjibaou pour le FLNKS (indépendantiste), Jacques Lafleur pour le RPCR (anti-indépendantiste) et le nouveau Premier ministre, socialiste, Michel Rocard. Ces accords, ratifiés par les Français lors d’un référendum le 6 novembre 1988, créent trois provinces (Nord, Sud, Îles Loyauté) et prévoient l’organisation d’un scrutin d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie dans les dix ans. Mais le 4 mai 1989, Jean-Marie Tjibaou est assassiné par le Kanak indépendantiste Djubelly Wéa, qui ne lui a pas pardonné d’avoir signé ces accords. Wéa tire également sur Yeiwéné Yeiwéné, bras droit de Tjibaou, avant d’être abattu par le garde du corps des victimes.

1998 : Accord de Nouméa

Le 5 mai 1998, la signature de l’accord de Nouméa, sous l’égide du Premier ministre Lionel Jospin, lui aussi socialiste, instaure en Nouvelle-Calédonie un processus de décolonisation sur vingt ans. Ce texte fondateur, conclu entre l’État, les anti-indépendantistes et les indépendantistes kanaks puis ratifié à 72 % par les Calédoniens lors d’un référendum, organise l’émancipation par étapes de l’archipel. Un référendum d’autodétermination est prévu entre 2014 et 2018 au plus tard. Pour les observateurs, l’accord de Nouméa est le garant du maintien de la paix en Nouvelle-Calédonie après la quasi-guerre civile des années 1980. Mais la mise en œuvre de ce processus, sans équivalent au sein de la République, se fait à petits pas.

2018 : "Non" à l’indépendance, poussée FLNKS

Le Parlement adopte en 2009 un projet de loi qui permet des transferts progressifs de compétences (affaires de police en 2011, organisation scolaire en 2012, droit civil et commercial en 2013) de l’État à la Nouvelle-Calédonie, assortis de modalités financières. Conformément à l’accord de Nouméa, un référendum est organisé le 4 novembre 2018 au cours duquel 175 000 électeurs sont amenés à répondre à cette question : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». Victoire du « non » (56,7 %), mais forte percée des indépendantistes.

2020, 2021 : Nouveaux référendums

Ces derniers en profitent pour demander l’organisation d’une nouvelle consultation, l’accord de Nouméa autorisant un deuxième voire un troisième référendum. Le non l’emporte à nouveau en 2020 (53,26 %) et en 2021 (96,5 %), mais les indépendantistes ne reconnaissent pas la validité du dernier scrutin, marqué par une forte abstention après l’épidémie de Covid-19.

2024 : Violences insurrectionnelles

Sur fond de mobilisation des indépendantistes contre un projet d’élargissement du corps électoral pour le scrutin provincial calédonien, l’archipel de quelque 270 000 habitants connaît à partir de mai 2024 des émeutes, les plus violentes depuis les années 1980. Bilan : 14 morts et plus de 2 milliards d’euros de dégâts.

2025 : Conclave et sommet

Après l’échec du conclave de trois jours mené en mai 2025 dans l’archipel sur son avenir institutionnel sous l’égide du ministre des Outre-mer Manuel Valls, le président Emmanuel Macron convoque « l’ensemble des acteurs » néo-calédoniens à un sommet à Paris à partir du 2 juillet. De son côté, tout juste libéré après un an de détention provisoire dans l’Hexagone dans le cadre des émeutes de 2024, le leader kanak Christian Tein appelle en juin à sortir de la crise « par le haut ».


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