À Nouméa, on cultive la débrouille autant que la terre

Bébé dans les bras, Gaetan Fisdiepas regarde ses murs décrépis et soupire : “C’est encore plus dur qu’avant”. Dans ce quartier populaire de Nouméa, les émeutes de 2024 ont laissé des cicatrices. Les jardins, eux, font tenir.

Agent de sécurité, Gaetan a 28 ans et deux enfants à nourrir. Il vit aux Côteaux des Oliviers, un quartier pauvre coincé entre l’aérodrome de Magenta et les hauteurs de Nouméa. Ici, les bâtiments sociaux sont dégradés, les poubelles débordent, et les services publics passent au compte-gouttes.

“Avant, c’était déjà la galère. Maintenant, il y a encore moins de boulot, encore moins d’aides”, résume-t-il.

Dans la rue, les habitants parlent d’un quotidien plus rude depuis les émeutes de mai 2024, qui ont fait 14 morts et au moins deux milliards d’euros de dégâts. “Heureusement qu’on a les champs ! S’il n’y avait pas ça, ça serait de plus en plus difficile pour manger”, dit Gaetan Fisdiepas.

Dans de nombreuses familles kanak, cultiver un lopin de terre reste un réflexe. Manioc, ignames, bananiers : les aliments de base viennent souvent de la terre. Et quand l’argent manque, le jardin devient vital.

Depuis les émeutes de mai 2024, la Nouvelle-Calédonie traverse une crise économique sans précédent. Entre mars et décembre 2024, 11.600 salariés du secteur privé ont perdu leur emploi, selon l’Institut de la statistique et des études économiques (ISEE).

Le logement social n’est pas épargné : à la SIC, principal bailleur de l’archipel, les impayés ont presque doublé en cinq ans. Aux Côteaux des Oliviers, la SIC est omniprésente. Mais dans les logements, l’humidité ronge les murs et les portes s’effritent sous les termites. Les habitants critiquent des agents qui constatent sans réparer.

“Notre force à nous”

Sur les hauteurs du quartier, là où se dressait autrefois une maison de quartier, un jardin collectif a pris la relève. Sous un abri de tôle, des casiers ont été installés pour que les familles rangent leurs outils. Des alignements de manioc, d’ignames et de plantes médicinales dessinent un ordre discret.

Maurice, 56 ans, lui aussi agent de sécurité, y cultive sa parcelle. Il vit avec plusieurs membres de sa famille. Salaire d’environ 130.000 francs Pacifique (1.090 euros), loyer de 52.000 francs “aides déduites”, charges qui s’empilent.

“Comment on s’en sort comme ça ?”, demande ce colosse qui souhaite rester anonyme, fiche de paie en main. “On subit, on subit. Ce qu’on vit aujourd’hui, c’est pire que les années 80”.

“Le jardin, c’est notre force à nous. Si on n’a plus ça demain, on fait quoi ?” Il raconte le troc entre voisins : légumes contre poisson, boutures contre ignames. “La viande ? C’est pour les riches !” lâche-t-il en riant.

Un peu plus bas, Euphrasie, 51 ans, avance lentement, le dos chargé de branches de manioc. Mère de sept enfants, grand-mère de sept petits, elle cultive aussi un bout de terrain. “J’étais en train de couper des boutures de manioc. Le week-end, je plante avec mes petits-enfants. Je leur apprends à faire le champ”, glisse-t-elle.

Dans ce jardin collectif, chacun paie une cotisation - entre 1.000 et 1.500 francs Pacifique - pour avoir accès à une parcelle et à l’eau. Mais autour, sur des friches ou des bordures incultes, d’autres habitants plantent “en sauvage”.

Crise de la faim

Daniel Hama, 26 ans, anime l’association Unité CDO, qui tente d’améliorer le quotidien des habitants. Il soutient le FLNKS, principale alliance indépendantiste, et la CCAT, l’organisation accusée par le gouvernement d’être derrière les émeutes, mais refuse de parler d’accords ou d’indépendance alors que Manuel Valls est de retour à Nouméa depuis mardi.

“Avant de régler les problèmes politiques, je préfère régler les problèmes sociaux”, tranche le jeune homme. Il salue le rôle discret des femmes âgées, des grands-mères, “qui apaisent, qui parlent avec leurs fils, qui donnent du bon sens”.

Mais ce fragile équilibre pourrait céder, redoute-t-il. S’il ne se passe rien, les habitants finiront par voler, “et ce sera pire que le 13 mai”. Le risque est clair, selon lui : “on aura une crise de la faim”.

Thibault MARCHAND


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