Le Conseil constitutionnel, saisi par des députés de gauche, vient de valider le durcissement du droit du sol à Mayotte, adopté par le Parlement début avril. Dans l’archipel, si la mesure est plutôt bien accueillie, son efficacité pose question. Mariam (prénom modifié), 18 ans, est en terminale à Kahani, au centre de Grande-Terre. L’an prochain, elle aimerait intégrer un BTS assistance d’ingénieur technique, mais "ça va être difficile", concède-t-elle.
La jeune femme, tout juste majeure, est née à Mayotte de parents comoriens en situation irrégulière. Elle ne bénéficie donc pas de papiers français, car depuis 2018, pour obtenir la nationalité à sa majorité, un enfant né sur le territoire doit pouvoir justifier qu’un de ses parents réside en France depuis au moins trois mois et est en situation régulière. Impossible donc pour Mariam de poursuivre ses études alors qu’elle considère pourtant Mayotte comme chez elle. "Je ne connais rien d’autre, j’ai toujours vécu ici. Après le lycée, j’aimerais au moins faire une formation ou un petit boulot, mais je ne veux pas rester à la maison. Ça me met en colère parce que je ne peux rien faire alors que je suis née ici", s’emporte la lycéenne, qui vit à Ouangani dans une maison en tôle avec sa famille.
Comme elle, ils seraient plusieurs milliers chaque année à se retrouver sans possibilité de poursuite d’études faute de papiers. Sur l’île de 320.000 habitants selon l’Insee, plus de la moitié de la population est étrangère, dont un tiers en situation irrégulière. Le phénomène pourrait s’amplifier. Car depuis le 7 mai, un enfant né à Mayotte n’obtiendra la nationalité française que si ses deux parents peuvent justifier d’une présence régulière sur le sol français depuis au moins un an avant sa naissance.
- "Mesure démagogique" -
Pour le maire de Mamoudzou Ambdiwaheddou Soumaila, "c’est un pas de plus pour limiter l’immigration même si nous souhaitons une abrogation totale du droit du sol à Mayotte et que cette mesure est loin d’être à la hauteur de la pression migratoire que nous subissons". Un avis partagé par Madi Ousseni Mohamadi, maire de Chiconi, à l’ouest de Grande-Terre. "Tout ce qui permet de lutter contre cette problématique est bon à prendre, tous les élus sont d’accord sur ce point. La régularisation des migrants incite les membres de leurs familles à les rejoindre sur le territoire. On espère que le durcissement du droit du sol limite cet appel d’air", indique l’élu.
Pour le sénateur Saïd Omar Oili, toutefois, il n’y a pas de doute : "le durcissement du droit du sol sera inefficace". "Nous n’avons jamais expulsé autant que depuis la loi immigration de 2018. Cela montre bien qu’elle n’a pas dissuadé les gens de venir. Et on refait la même chose sept ans plus tard...", déplore-t-il, qualifiant la mesure de "démagogique". Car les étrangers, originaires de l’île voisine d’Anjouan pour la majorité, viennent avant tout dans l’espoir de meilleures conditions de vie. "Ils fuient la misère, viennent se faire soigner. Et puis, il y a toujours eu beaucoup d’échanges entre les îles et des relations de parenté. Ceux qui arrivent ont de la famille sur place. Et l’école gratuite fait rester", résume Daniel Gros, représentant de la Ligue des droits de l’Homme sur le territoire.
Safina Soula, présidente du Collectif des citoyens de Mayotte 2018, qui milite contre l’immigration clandestine, doute elle aussi de l’efficacité de la nouvelle loi : "Il y a tellement de déclarations frauduleuses de paternité… Le risque est que cette nouvelle mesure ne fasse que les augmenter." Pour Saïd Omar Oili, le véritable danger est de laisser davantage de jeunes sans solution à leur majorité. "On va continuer à scolariser des jeunes nés à Mayotte, puis à leurs 18 ans, on ne les reconnaîtra pas. Au fil des années, une armée de gens désespérés va se constituer. Bien sûr qu’ils vont se retourner contre nous", s’alarme l’élu.
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