En proposant d’envoyer à Saint-Pierre-et-Miquelon les personnes visées par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), Laurent Wauquiez a utilisé une méthode "populiste" qui gagne du terrain dans le débat public, à la faveur des réseaux sociaux qui exacerbent les colères, analyse le spécialiste de communication politique Philippe Moreau-Chevrolet.
QUESTION : comment analysez-vous la sortie de Laurent Wauquiez sur les étrangers sous le coup d'une obligation de quitter le territoire (OQTF) envoyés à Saint-Pierre-et-Miquelon ?
REPONSE : "C'est la prime à l'outrance qui participe d'un écosystème populiste. L'exagération politique, c'est du folklore, elle a toujours existé. Là, ce qui est nouveau, c'est la violence verbale. Que dit la déclaration de Laurent Wauquiez ? Qu'en fait, on va faire du mal, on va faire souffrir les immigrés pour qu'ils n'aient plus envie de venir chez nous. On va les envoyer loin, dans un endroit où il fait froid. Ce discours politique est une incarnation d'une colère, d'une vengeance, d'une volonté de faire mal, il est extrêmement nouveau. Il y avait une déclaration de Trump en meeting alors que des gens protestaient dans la salle, il les a pointés du doigt, il a dit +Eux, vous me les virez et vous les virez dehors sans manteau+. Ca, c'est le populisme. Parce que quand vous associez les gens à cette violence et que vous les prenez avec vous dans cette violence, vous les rendez eux aussi coupables d'une certaine manière, c'est très pernicieux. Ca paraît efficace, ça soulage les gens, ça fait aboutir leur colère."
QUESTION : quelle est la genèse de cette "prime à l'outrance" ?
REPONSE : "Si on remonte, c'est l'élection du président au suffrage universel, donc c'est à la naissance de la Ve République, qui fait qu'on va dans une forme d'adhésion à un homme, à un camp. Après, dans les années récentes, depuis la campagne de 2007, qui était encore sur les enjeux, on a essentiellement eu des campagnes soit de rejet, c'est-à-dire négatives donc de colère, soit des campagnes inexistantes, comme en 2022. Là-dessus, se sont greffés les réseaux sociaux. A partir des années Covid, les gens se sont mis à consommer essentiellement du numérique. Une partie du public va chercher ses informations sur les réseaux sociaux donc un univers géré par des algorithmes, dont l'efficacité repose sur leur capacité à polariser (...) On vous excite, on vous énerve contre les autres, on vous provoque des émotions négatives, parce que c'est la colère qui provoque le plus d'engagement - ça a été mesuré - sur les réseaux sociaux. Leur logique à eux, c'est de faire grandir la colère, la polarité, pour que vous restiez tout simplement à consommer chez eux."
QUESTION : comment répondre à cette dérive ?
REPONSE : "C'est difficile à combattre parce que ça s'appuie sur un besoin profond des citoyens de retrouver une connexion avec les politiques. Pour recréer des ponts entre les électeurs et les politiques, un langage différent, des positions plus claires, plus tranchées peuvent aider. Mais les démocrates sont passifs. Ils utilisent les réseaux sociaux pour tenir un discours qui n'a aucune efficacité avec des méthodes qui n'ont aucune efficacité. Ils reculent devant la question de la régulation, étonnamment. Un populiste donne l'impression, quand il parle, qu'il solutionne un problème. Donc, les OQTF, on n'a qu'à les envoyer à Saint-Pierre-et-Miquelon. C'est stupide et ça ne pourrait pas avoir le début d'une mise en œuvre. Mais les gens se disent +Ah oui, tiens, envoyons-les+. C'est l'épuisement du discours politique, la colère, les bulles cognitives qui produisent ce résultat-là. Ils finissent par adhérer sans s'en rendre compte à des solutions de plus en plus radicales. Le drame de la période, c'est que les gens qui tiennent un discours raisonnable, lucide et calme ne sont pas entendus."
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Wauquiez/OQTF : Hollande regrette que "le +politiquement incorrect+ devienne la règle"
L'ancien président François Hollande a déploré que "le politiquement incorrect devienne la règle" à propos de la "bêtise" de Laurent Wauquiez d'envoyer les étrangers sous OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon, qualifiée également de proposition "inappropriée" par le président du Sénat Gérard Larcher.
"Le politiquement correct avait sans doute ses défauts de dire +on doit toujours maîtriser son vocabulaire+, mais là c'est le politiquement incorrect qui devient la règle +On peut tout dire+. Non, on ne peut pas tout dire et surtout on ne peut pas tout faire", a critiqué le désormais député socialiste sur RTL. "C'est de la bêtise puisque chacun comprend que ça ne se fera jamais, que ce n'est pas fait pour régler quelque problème d'immigration que ce soit. C'est fait pour une bataille interne au sein de LR", a-t-il ajouté, en allusion à la compétition entre le chef des députés LR et le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau pour la présidence du parti.
De son côté, Gérard Larcher, membre des Républicains comme M. Wauquiez, a jugé cette proposition "inappropriée" et "irréalisable", rappelant sur Europe1/CNews que "tous les territoires doivent être respectés comme partie intégrante de la République". Laurent Wauquiez avait proposé "d'enfermer" à Saint-Pierre-et-Miquelon les personnes dangereuses sous OQTF.
Sa proposition a provoqué un tollé au sein de la classe politique, y compris au RN où elle a été jugée "grotesque" par le vice-président Sébastien Chenu sur LCI. "Vouloir déporter les OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon, c'est croire qu'on peut régler les problèmes en les éloignant", a aussi réagi l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin. "On pourrait les garder au Puy-en-Velay, pourquoi les envoyer à Saint-Pierre-et-Miquelon ? C'est quand même une drôle d'idée de la République", s'est-il interrogé sur France 5. Face à ces critiques, "les OQTF dangereux à Saint-Pierre-et-Miquelon, je signe et persiste", avait répondu M. Wauquiez sur X.
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Wauquiez et Saint-Pierre-et-Miquelon : "pas de polémique" sur une proposition "déroutante"
Retailleau Bruno Retailleau, candidat à la présidence des Républicains, a assuré ne pas vouloir "polémiquer" sur la proposition, "à première vue déroutante", faite par Laurent Wauquiez d’envoyer les "étrangers dangereux" sous OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon. "Je ne veux pas en rajouter. Je me suis engagé, quand j'ai déclaré ma candidature, à ne pas polémiquer avec un compétiteur de ma famille politique", a souligné le ministre de l'Intérieur lors d'une conférence de presse à Beauvau.
"Donc je ne polémique pas, pas plus maintenant que demain sur cette question, cette proposition qui est à première vue déroutante", a-t-il ajouté. "Mais chacun a le droit en démocratie de s'exprimer et de proposer", a-t-il conclu. Laurent Wauquiez a réagi sur X aux propos de son rival : "Ce qui est déroutant Bruno, c’est l’incapacité de la France, ministre après ministre, à régler le problème des OQTF et le fait d’accepter passivement que des criminels étrangers soient relâchés dans nos rues", a-t-il écrit, proposant au ministre de "travailler ensemble" pour trouver des solutions.
Interrogé sur l’hypothèse d’un départ du ministère s’il devenait président des Républicains, Bruno Retailleau a écarté cette éventualité : "Non, j’assume d’être candidat et ministre. Je pourrai assumer demain d’être président d’un parti et ministre de l’Intérieur. Ce n’est pas ça qui constitue pour moi une butée. Ce qui constituerait une butée, c’est l’impossibilité d’agir ou d’autres éléments, mais nous n’en sommes pas là."
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